"Savons-nous seulement où nous sommes?"

Cette question simple d'apparence sera sans doute l'enjeu de nos géographies intérieures de demain. Les espaces, comme les relations, s'internationalisent.

A l'occasion de l'inauguration des Archives d'architecture au Pavillon Sicli à Genève, Natacha Guillaumont illustre comment ce nouveau lieu peut aider à répondre à cette question : « où sommes-nous ? »

Que les lieux changent comme les humains qui les habitent, et pour comprendre où nous situer, nous devons penser, accompagner ce changement et non le refuser.

A Sicli, nous sommes, dans une ancienne usine aux baies ouvertes sur le paysage dans laquelle on fabriquait du matériel incendie, bâtiment singulier réunissant deux voiles, membranes de béton prouesse de l’ingénieur Heinz Isler qui alliait exploit constructif, porteur et la forme libérant l’espace au sol.

Libérer de l’espace …. au sol …. Au sol … sur quel sol sommes-nous ? Où sommes-nous ?

Nous sommes au cœur d’une petite plaine, dessinée par les bras débordant de l’Arve, de la Drize et de l’Aire, qui rejoignaient le Rhône à la Jonction. Dessinée par les bras de rivières et avant eux, formé d’un sol de dépôts morainiques suite au retrait des glaciers alpins. Autrefois, ce paysage était mouvant au gré des débordements de ces cours d’eau suivant les saisons et les hivers plus au moins rigoureux qui déversaient leurs torrents. Une plaine alluvionnaire d’où l’on peut imaginer des terrains qui s’inondaient puis se ressuyaient, sédimentant des îlots de formes diverses qui les années suivantes disparaissaient. Ces terrains par leurs formes instables étaient moins propices à la culture que d’autres plus en hauteur de la campagne genevoise. Ils n’ont accueilli que tardivement dans le développement urbain, des activités.

Autrefois, mouvant ce paysage l’est toujours …

Mouvant, à une échelle de temps non toujours perceptible pour celle de la vie d’un homme. Le paysage change toujours, même si nous ne voulons pas le voir, parce qu’il nous rassure, pourtant il change.

Dessin de Joseph Heuer
Joseph Heuer, sans titre, ca 1907-1908
Encre et crayon de couleur sur papier, 23 x 17 cm
Photo : Marie Humair, Atelier de numérisation -
Ville de Lausanne
Collection de l’Art Brut, Lausanne

Ce site du PAV était en retrait de la ville, accueillant seulement pour ceux que l’on appelait aliénés, ou agités. Dans le cadre d’une recherche sur les parcs des hôpitaux psychiatriques suisses, un dessin conservé au musée de l’art brut de Lausanne, montre l’hôpital des Vernets, représenté par Joseph Heuer patient, qui a passé sa vie dans un pavillon au fond du jardin de l’hospice. Comme d’autres avant lui, il voyait dans le jardin une représentation du monde.

Dessin de Joseph Heuer
 Sur la carte de 1956, le site de l’hôpital est devenu la caserne des Vernets, ce même site qui accueillera prochainement un nouvel îlot de quartier.

Une des missions de recherches en HES est de servir de médiation entre des professionnels d’une discipline et des institutions, les travaux de recherches sont aussi au service des étudiants et étudiantes. C’est le cas du projet actuel de l’observatoire dynamique et laboratoire du paysage proposé par les groupes de recherche de la filière Architecture du paysage.  Le terme dynamique vient de ce sens du service et des idées partagées et vivantes dans les écoles.

Ce laboratoire-observatoire s’inscrit dans les recommandations de la Convention européenne du paysage, œuvrant pour la sensibilisation et la reconnaissance des paysages y compris ordinaires, et témoigner de leurs mutations.

Pour ce faire nous testons aujourd’hui la mise en place de ce laboratoire vivant au PAV avec les 120 étudiants paysagistes. Nous avons choisi de débuter par le PAV parce que c’est un des lieux emblématiques des mutations territoriales pour les prochaines années à Genève. Nos étudiants commencent par arpenter le terrain et le reconnaître en le confrontant aux différents savoirs, cartes ou documents. Pour cela, nous utilisons le fond du TeTU (Territoires et Tissus Urbains) ancien CRR (Centre de Recherche sur la Rénovation urbaine). C’est le travail remarquable d’Alain Léveillé qui a eu à la fois cette idée et la patience d’identifier les permanences des différentes cartes historiques confronter au terrain. C’est à dire ce qui reste d’une époque à une autre, ce qui dure ou qui évolue d’une trace ancienne. Moins visible mais tout aussi patrimoine, ces murets racontent par exemple un abord d’ancienne voierie en direction du Salève …

Le CRR avait été fondé en 1973, dans le cadre de l’École d’architecture de l’Université de Genève, par les professeurs Italo Insolera et André Corboz pour développer une recherche sur la rénovation urbaine à Genève. Les études menées par le CRR ont eu comme but prioritaire la recherche analytique des mécanismes de la rénovation urbaine puis, du processus d’urbanisation du territoire. Entre 1981 et 2009, le CRR a conduit des travaux de recherche sur la morphologie des tissus urbains et territoriaux, leurs composantes, leur histoire, leur formation, leur transformation, leur interprétation. Ainsi, le CRR a été mandaté par des administrations publiques pour mener des études sectorielles ou thématiques, dont la destination est la contribution à la préparation de projets de plans d’urbanisme ou la publication d’ouvrages de référence.

Rechercher les permanences c’est interpréter des traces du territoire comme signes. Ce fond est finalement né d’un travail de recherches, il s’est constitué peu à peu et du CRR il est devenu le TETU conservé à l’école HEPIA, dont nous profitons.

Aujourd’hui l’équipe des paysagistes d’HEPIA cherchent à redonner forme aux différents projets qui ont été envisagé pour le PAV, non pas dans une vision de regret passéiste de ce qui aurait pu être fait mais pour mettre en évidence la fabrique de ce territoire. Nous utilisons ce travail et le complétons à notre manière, proposant l’ensemble des modes de représentations du paysage dont nous sommes spécialistes.

Nombre de projets ont été imaginés dont un port avant la jonction ...

Il s’agit de nourrir la fabrique des projets d’avenir et de permettre de comprendre à chaque citoyen que ce petit territoire est riche d’une histoire de planification exemplaire de grande diversité.

Ce qui est utile et pourtant difficile lorsqu’on conçoit l’espace c’est de mesurer le champ des possibles, afin d’en définir un contour, puis de les délimiter.

On ne fabrique pas l’espace sans histoires, ni culture, ni l’imagination de ceux qui nous ont précédé, on invente très peu on réinterprète essentiellement. C’est finalement cela un lieu pour des archives, c’est le travail de générations de personnes qui ne sont plus là et le passage de relai entre elles. Une histoire de recherches partagées, d’interprétation au service des autres, de passage de relai et de générosité. Une histoire de chercheurs qui partagent leur travail.  Un lieu d’une grande humanité puis qu’il s’agit d’histoires d’espaces partagés qu’il soit physique, mental, virtuel … le paysage est ce partage des interprétations sensibles.

Aujourd’hui on a tous des projets, c’est à dire penser à l’avenir d’une façon ou d’une autre.  

Formaliser l’espace c’est ce que l’on appelle projet de paysage. La spécificité des architectes paysagistes c’est de dessiner l’espace, de formaliser, de donner une forme au territoire et de faire une place au vivant, de le confronter aux usages, de s’engager dans le choix de ces priorités. C’est une discipline à l’interface qui positionne le vivant de prima.

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